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Photo du rédacteurPhilippe St-Laurent

Le deuil blanc : laisser place au rétablissement

Comme entourage, être présent dans le rétablissement de notre proche peut s’avérer d’un grand soutien. Nombreuses sont les opportunités pour nous d’offrir de l’encouragement, de l’écoute ou d’aider au maintien des bons efforts. La force d’un bon réseau de soutien peut aider à traverser n’importe quelle tempête. Cependant, je vous invite à vous poser une question aujourd’hui : Qu’est-ce qui fait qu’un réseau soit ‘’bon’’ pour la personne en rétablissement? En dépit de la présence abondante d’opportunités pour poser des gestes marquants pour l’autre, plusieurs ont le sentiment de faire du sur-place. L’un des enjeux à surmonter que nous rencontrons fréquemment dans notre pratique est que l’entourage doit vivre des deuils avant d’atteindre leur plein potentiel d’aidant et viser juste.


Il est tout à fait possible de vivre les étapes d’un deuil sans pour autant avoir perdu un être cher : deuil d’une relation, deuil des idées que nous nous faisions du projet de vie de l’autre, deuil du rôle qu’on incarne pour l’autre ou de l’autre envers soi… Dans le domaine des maladies cognitives, on utilise l’expression ‘’deuil blanc’’ pour définir ces deuils vécus lorsque la maladie amène, peu à peu, le changement de la personnalité, à un point tel que la personne ne correspond plus à celle que l’on a connue, à ce qu’elle était avant. J’aimerais emprunter cette expression aujourd’hui pour l’employer dans le contexte du rétablissement en santé mentale.


La maladie mentale a le potentiel d’affecter les personnes touchées dans leurs émotions, perceptions, capacités, motivation, organisation. Tous ces éléments influencent directement notre façon d’être, notre personnalité. Devant ce constat, il est important de souligner qu’un écart peut se creuser dans notre perception entre la personne que nous avons toujours connue avant la maladie et la personne que nous avons réellement devant soi aujourd’hui.


Si c’est le cas, je vous invite à vous poser une seconde question : abordez-vous votre proche avec les mêmes idées et attentes que s’il n’avait jamais changé? Ou au contraire, abordez-vous votre proche en ayant pris soin d’ajuster vos idées et attentes envers son rétablissement à venir? Pour aller encore plus loin, nous pouvons nous poser la question suivante : À quoi je sais que je me suis adapté? Quelles sont les connaissances, choix, perceptions ou actions nouvelles chez moi qui me prouvent que je me suis adapté à une personne qui ne correspond plus aux idées que je me suis toujours faites d’elle? Si trouver des réponses à ces questions s’avère difficile, c’est normal. Il est possible que vous passiez à travers un deuil blanc.


Accepter de vivre un deuil blanc, et s’avouer que l’autre ne correspond pas entièrement aux idées auxquelles nous nous sommes attachées jusqu’à présent, est difficile. Ça demande de l’humilité pour être capable de se remettre en question. Ça demande aussi un peu de courage pour avoir confiance envers le fait que la situation peut évoluer si nous acceptons de s’y prendre différemment. Bien que ce soit difficile, c’est possible d’y arriver. C’est un travail que nous pouvons faire au Portail avec l’entourage. Selon moi, le principal bienfait de vivre ce deuil est d’arriver à supporter la personne d’une manière parfaitement alignée à son rythme et ses priorités, tout en étant respectueux de nos besoins et attentes propres. Pour y arriver, il est nécessaire de laisser aller nos attentes et stratégies parfois mal ajustées à la personne. En d’autres mots, il faut laisser aller l’idée que nous nous faisions de notre proche pour laisser place à une vision plus complète, plus humaine de la réalité. Illustrons quelques étapes du deuil afin de mieux s’expliquer comment nous vivons le rétablissement de notre proche.


L’une des étapes primordiales pour vivre son deuil est la reconnaissance. Il faut être en mesure d’admettre que la maladie affecte notre proche et occasionne des difficultés bien réelles. L’idée n’est pas de le voir comme une condamnation permanente, mais plutôt de jeter un regard honnête envers les changements vécus par notre proche depuis l’arrivée des symptômes. Un obstacle à la reconnaissance est parfois une perception alarmiste de la maladie mentale et une méconnaissance du grand potentiel de rétablissement. Plus la conséquence d’un problème est importante, et plus il est difficile de reconnaître et accepter sa présence. Nous avons tendance à nous protéger en niant la présence des problèmes qui nous intimident. Il est important de bien s’entourer et s’éduquer face à la maladie et au processus qui sera possible de mettre en œuvre pour permettre à notre proche de s’en rétablir. Au Portail, nous pouvons vous aider à développer une meilleure perspective sur les impacts quotidiens de la maladie ainsi que sur le processus plus général du rétablissement. Cela permet une vision d’ensemble bien renseignée qui laisse moins de place aux idées alarmantes, qui nous portent souvent mauvais conseil. L’image que nous pouvons nous faire de cette étape est que nous nous affairons à dessiner une carte dans le but de savoir à quoi s’attendre.


Une autre étape du deuil est celle de la douleur. Nous avons reconnu l’existence de la maladie et nous pouvons nous expliquer l’impact qu’elle a pour notre proche et pour soi-même. Maintenant la reconnaissance laisse place à la détresse, la tristesse, la colère. À ce moment, porter un regard sur la carte que nous avons dessinée de la situation confronte nos façons de voir la situation que nous avons développées jusqu’à présent. La présence d’un service comme le Portail devient importante pour laisser place à l’expression de ces émotions éprouvantes (stress, peur, frustration, appréhension). Bénéficier d’un contexte professionnel pour ventiler et laisser aller ces émotions permet de ne pas vivre d’explosion d’émotion à la maison que nous pourrions regretter. Permettre l’expression dans l’étape de la douleur est aussi une opportunité de départager les pensées saines des pensées malsaines, et de mieux comprendre qu’est-ce qui nous menace dans l’acceptation de la maladie de notre proche. Si nous nous permettons suffisamment de nommer avec sincérité comment nous nous sentons face au diagnostic, la table est mise pour trouver des réponses aux questions qui comptent vraiment pour nous. Grâce à ces réponses, nous pouvons commencer à nous adapter aux réels besoins de l’autre (et des nôtres) avec un meilleur calme. L’étape de la douleur prend du temps, il faut accepter de regarder la nouvelle carte que nous nous sommes faite avec ouverture, ce qui nous amène à appréhender les défis qui nous attendent. Il faut surtout se souvenir que nous ne sommes pas seul devant ces défis, et qu’être en mesure d’identifier les enjeux nous permet de les prioriser pour les aborder de façon efficace.


Une dernière étape que j’aimerais aborder est celle de la réorganisation. Nous avons accepté que la maladie influence notre proche. Nous avons pris le temps d’accueillir les émotions difficiles qui se sont imposées à l’étude de notre nouvelle carte de la situation… Désormais, nous nous sentons plus calme. Nous détenons un meilleur contrôle de soi et avons le sentiment que nous pouvons déployer une façon d’être bénéfique pour l’autre. Nous avons reconnu et accepté suffisamment de nouvelles informations pour nous permettre de jouer un rôle de proche-aidant aligné avec les faits. Nous avons une meilleure idée de qui nous sommes et de qui est notre proche, dans nos valeurs, nos forces, nos limites, nos attentes et nos objectifs réels respectifs. Il est désormais temps de bien définir notre rôle (qu’il soit distant ou très près). Nous utilisons toutes les informations de la carte jusqu’alors abstraite pour nous guider dans le développement de rôles mutuellement satisfaisants dans la vie de tous les jours. On souhaitera que ces rôles soient bien alignés avec le potentiel, les valeurs et le projet de vie de notre proche, ainsi que des nôtres. C’est évidemment un autre travail que le Portail est entièrement habileté à réaliser avec vous.


Pour conclure, je vous invite à nouveau à vous poser la question : est-ce que j’agis de manière cohérente avec la personne que j’ai réellement devant moi? Mes attentes et manières de voir mon proche sont-elles réalistes face au vécu réel de ce dernier? Si la réponse s’approche du non, vous vivez peut-être les premiers stades du deuil blanc. Un processus qui exige de laisser aller notre vieille carte pour laisser place à une nouvelle. Bien que ce soit quelque chose de difficile par moments, c’est un processus important qui permettra des façons d’être plus agréables et productives en s’assurant d’agir sur une vision plus juste et humaine de la réalité. Il nous fera plaisir de vous soutenir à travers la reconnaissance du contexte nouveau, l’expression de la douleur qui en émerge, ainsi que toute la réorganisation nécessaire pour laisser place au bien-être.




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