Le sentiment d’impuissance est un sentiment désagréable, que nous ressentons tous à un moment ou un autre de notre vie. Quand on se sent impuissant face à une situation, c’est parce qu’on a l’impression d’avoir peu ou pas de contrôle dessus. Beaucoup de personnes qui vivent auprès d’un proche atteint de maladie mentale connaissent bien cette impression que le contrôle de la situation leur échappe, ce qui peut évidemment amener énormément d’anxiété et de frustration.
Afin de se sentir plus rassurés, les proches de personnes atteintes peuvent utiliser beaucoup d’énergie à tenter de reprendre le contrôle sur les choses. Malheureusement, certaines de ces énergies sont parfois plus ou moins dépensées dans le vide, simplement parce qu’on veut essayer de contrôler des choses sur lesquelles on n’a pas vraiment de pouvoir.
La distinction peut être un peu difficile à faire, mais il est quand même important de savoir : quelles sont mes zones de pouvoir par rapport à la situation de mon proche? Et sur quoi, au contraire, n’ai-je pas de contrôle? Et, entre les deux, qu’est-ce que je ne peux pas contrôler, mais peut-être influencer? Les réponses à ces questions, même si elles ne sont pas toujours ce qu'on voudrait, sont importantes à connaître si on veut être capable de se concentrer sur ce qu’on peut faire, et pour laisser aller ce qui ne dépend pas de nous.
CE QU’ON NE PEUT PAS CONTRÔLER
Tout d’abord, quelles sont les choses qui n’entrent pas dans notre zone personnelle de pouvoir? Par réflexe ou par habitude, on peut avoir tendance à essayer de contrôler toutes les variables d’une situation, mais il est important de reconnaître que certaines d’entre elles échappent à notre volonté.
Par exemple, on ne contrôle évidemment pas le fait que notre proche ait une maladie mentale, même si c’est une réalité qui peut être difficile à accepter pour lui/elle ou pour vous-même. Il faut prendre en compte le fait que la maladie est là, qu’elle a une influence sur sa vie ainsi que sur la vôtre, et qu’il faut s’y adapter d’une manière ou d’une autre.
On ne peut pas non plus contrôler les perceptions de l’autre – par exemple, la manière dont votre proche voit une situation en particulier, ou encore sa maladie. La façon dont une personne ressent et perçoit les choses est propre à chacun. Certains verront leur diagnostic comme un soulagement suite à des années de questionnements, et d’autres le verront comme une réalité difficile à accepter, ou encore un aspect d’eux-mêmes dont ils ont honte. On peut toujours exprimer à notre proche notre propre vision des choses, mais on ne peut pas le forcer à les voir absolument de la même manière que nous.
Il est également difficile d’avoir un contrôle sur les émotions et les ressentis, que ce soit les nôtres ou ceux de notre proche. Il faut distinguer ici nos émotions de nos réactions : les émotions sont spontanées, elles montent en nous pour nous envoyer un message, exprimer un besoin. Qu’elles soient agréables ou non, elles sont naturelles et saines, et il est bon de chercher à les accepter et les comprendre plutôt qu’à tenter de les bloquer. Les réactions, quant à elles, sont les réponses concrètes que l’on applique au besoin ressenti (et, comme on le verra plus loin, ce sont nos réactions sur lesquelles on a du contrôle). Ainsi, nous avons peu de contrôle sur les émotions que nous ressentons face à une situation : que ce soit ce qui me rend plus émotif, ce qui me stresse ou me blesse en particulier, ce sont des ressentis normaux auxquels il faut simplement être à l’écoute.
De la même manière, on ne peut pas non plus contrôler les émotions de notre proche. Même si on n’aime pas voir une personne qu’on aime aller mal, on ne peut malheureusement pas changer magiquement son état émotif selon notre volonté. Il arrivera que l'autre personne ressente de la tristesse, de la colère, de la peur, et à défaut de pouvoir contrôler cela, il sera important de lui faire comprendre qu'elle a le droit de ressentir ces émotions, et que celles-ci sont valides.
Tout comme pour nous-mêmes, on ne peut pas non plus contrôler les choses qui stressent ou qui blessent notre proche en particulier. Du fait de la personnalité, de la sensibilité et du vécu de chacun, ce qui affecte les gens peut grandement varier d’une personne à une autre. Chacun a des choses qui l’atteignent plus que d’autres, et c’est normal. Plutôt que de tenter de changer cela, il faut simplement le prendre en considération.
Chaque personne a des besoins, autant vous-même que votre proche, et il est important de prendre également cela en considération. On ne peut pas simplement décider d’effacer ou d’ignorer les besoins de l’une ou l’autre des personnes dans le but de simplifier une situation. Tout comme nos émotions, nos besoins existent à l’intérieur de nous, et il est bon d’essayer de les accepter et de les écouter, plutôt que de tenter de contrôler leur existence, que ce soit envers vous-même ou pour votre proche.
Même si on le voudrait bien parfois, on ne contrôle pas non plus les réactions de l’autre, que ce soit les réponses qu’il nous donne ou simplement son attitude face à nous (ouverture, frustration, détachement, etc). Et, même en faisant de notre mieux, la manière dont l’autre recevra ce qu’on lui dit dépendra de lui au final, et s’alignera souvent avec son propre ressenti, son propre vécu et sa propre perception de la situation - ce qui peut rendre difficile de prévoir avec exactitude les conséquences de nos paroles et le déroulement de l’interaction.
Bien que cela puisse être frustrant et angoissant, on n’a pas non plus de contrôle sur les choix de notre proche. Que ce soit les habitudes de vie qu’il décide de prendre, les efforts qu’il décide ou non de faire, ce qu’il choisit ou non d’exprimer, ou l’aide qu’il décide ou non de demander, il est difficile de forcer quelqu’un à faire une action face à laquelle il bloque, ou l’obliger à choisir et maintenir certains comportements, s’il n’est pas lui-même motivé à les adopter pour lui. Amener une personne à avoir la volonté de changer n’est pas une chose aisée si cette volonté et cette motivation ne se retrouvent pas déjà quelque part en elle.
Enfin, comme nous n’avons pas d’emprise sur le temps si ce n’est que sur le moment présent, on ne peut donc pas avoir de contrôle sur le passé, ni prédire avec certitude l’avenir.
Même si ça peut être particulièrement difficile ou frustrant, il vaut souvent mieux tenter de lâcher prise sur les choses sur lesquelles on n’a pas de contrôle, afin de ne plus avoir l’impression de faire des efforts en vain. Et, à défaut d’avoir du contrôle sur tout, on peut parfois aussi tenter de changer notre façon de voir certaines choses, afin d’arriver à les comprendre sous un angle un peu différent, et ainsi à mieux les accepter.
CE QU’ON PEUT CONTRÔLER
Alors, sur quoi est-ce qu’on a le contrôle, au juste? Nos zones de pouvoir, c’est souvent en fait ce qui dépend de nous-même, des choix personnels que l’on fait. Par exemple, j’ai le pouvoir de choisir mes habitudes de vie, l’aide que je vais chercher, comment je prends soin de moi, etc. Ce sont toutes des choses que je fais pour moi, et que j’ai donc le droit de choisir. Les décisions qu’on prend pour soi, bien que n’étant pas toujours simples, sont les seules sur lesquelles nous avons vraiment un contrôle.
Vivre avec une personne atteinte n’est parfois pas de tout repos, et même si parfois il peut arriver de devenir émotif et de se laisser emporter, il faut se rappeler qu’au final, c’est nous qui choisissons quelle attitude adopter dans nos interactions avec elle. J’ai le contrôle sur la bienveillance que je manifeste, les mots que je choisis d’utiliser, ma manière de communiquer. Je peux aussi décider ce que j’accepte de tolérer ou non, et prendre du recul si nécessaire. Même si on ne contrôle pas les émotions qui montent en nous dans certaines situations, on peut donc, en revanche, contrôler comment on réagit à ces émotions, ce qu’on en fait, comment on les exprime.
Même si on ne peut pas contrôler le passé ni les erreurs qu’on a pu faire, on peut décider de ce qu’on apprend de ces erreurs, et réfléchir à comment ces apprentissages pourront nous servir dorénavant. On ne peut pas changer les choses qui se sont passées, mais on peut revoir notre perception de ces choses. On peut également choisir d’essayer d’ajuster nos pensées et nos attentes envers nous-même ou envers l’autre, si on se rend compte que celles-ci ne sont finalement pas réalistes.
Quand un être cher ne va pas bien, il est normal de vouloir l’aider et s’occuper de lui; en même temps, une implication trop grande pour nous peut nous prendre beaucoup d’énergie et finir par nous épuiser. Même si certaines situations peuvent nécessiter une aide plus urgente, vous avez le droit de choisir le degré d’implication que vous voulez avoir dans la situation de votre proche au quotidien. Même si vous souhaitez être présent pour lui autant que possible, vous pouvez définir à quelle fréquence ou à quel point vous êtes réellement capable de l’aider sans vous épuiser.
Il est normal pour tout le monde de vivre des hauts et des bas, mais ceux-ci peuvent être encore plus fréquents lorsqu’on côtoie une personne atteinte de maladie mentale. On peut en venir par moments à ne voir que du négatif et à ressentir seulement de l’impuissance. On peut alors prendre un moment pour s’arrêter et pour se demander : Sur quoi est-ce que je décide de mettre mon énergie aujourd’hui? Être présent pour mon proche? Prendre du temps pour moi? Qu’est-ce qui est le plus urgent présentement? De quoi est-ce que j’ai besoin?
De la même façon qu’on peut décider sur quoi mettre notre énergie, on peut aussi décider sur quoi on décide de focuser : il est facile et même normal pour l’humain de remarquer en priorité ce qui va mal, mais pour préserver notre moral et notre équilibre, il est également important de se souvenir des choses qui vont bien. Vous avez le droit de prendre des moments dans votre journée pour réfléchir à ce qui va bien, et pour focuser sur ce qui vous fait du bien à vous.
Enfin, si une situation est difficile à accepter pour vous et que vous avez tenté de la changer sans grand succès, le choix vous revient de soit continuer d’essayer, ou bien de tenter de lâcher prise. En effet, malgré les conseils que vous pourriez recevoir, vous êtes la seule personne qui puisse vraiment ressentir la motivation profonde envers l’un ou l’autre de ces choix, et décider quoi faire pour vous-même. D’ailleurs, si essayer de lâcher prise vous intéresse mais que vous ne savez pas comment faire ou par où commencer, on peut aussi vous aider avec ça au Portail.
Quand on essaie de changer une situation, on suggère d’accorder environ 80% de notre énergie sur les choses qu’on peut contrôler. Le 20% restant se trouve expliqué dans la partie qui suit.
UNE NUANCE : CE QU’ON PEUT INFLUENCER
Enfin, une des raisons pour lesquelles il peut être difficile de savoir ce qu’on peut contrôler ou non dans une relation avec un proche qui souffre de problématiques de santé mentale, c'est parce qu’il y a certaines choses que, sans complètement contrôler, on peut tout de même influencer.
Par exemple, on ne peut pas avoir un contrôle total sur les rechutes d’une personne : il y a des périodes où les choses vont aller mieux, et d’autres où, malgré la volonté et les efforts, les choses iront moins bien, pour diverses raisons parfois hors de notre contrôle. En tant qu'entourage proche, on peut cependant tenter de mettre en place les conditions optimales au maintien du rétablissement de l’être cher, et ainsi, mettre plus de chances de son côté ; le fait que la personne atteinte suive le chemin de ces bonnes conditions dépend toutefois, aussi, de sa volonté à elle.
Vous pouvez également exprimer à votre proche certaines choses auxquelles vous vous attendez de vos interactions avec lui, que ce soit par rapport à son attitude, à vos limites, au respect mutuel que vous souhaiteriez. La personne choisira alors d'essayer de suivre ces conditions ou non. Mais quel que soit le résultat, vous vous serez donné le droit de vous affirmer, et vous pourrez décider quoi faire par la suite si vos limites ne sont pas respectées, en en informant clairement l'autre personne.
Vous avez également le droit de dire à votre proche comment vous vous sentez par rapport à vos interactions avec lui, par exemple, les émotions que son attitude envers vous vous font vivre. Il se peut que sa maladie ou sa propre souffrance l'empêchent d'être vraiment empathique à votre réalité; il est également possible que votre proche se montre sensible à ce que vous ressentez, et que cela puisse influencer positivement votre relation. Encore une fois, le résultat dépendra de chacun de vous, et non d'une seule personne; néanmoins, en nommant ce que vous ressentez, vous aurez au moins pu exprimer les choses qui sont importantes pour vous, ce qui est déjà une chose positive en soi, que la réaction de l'autre soit celle attendue ou non.
Vous pouvez également exprimer votre point de vue à votre proche, que ce soit par rapport à votre perception de sa maladie ou de toute autre situation dont vous discutez avec lui. Peut-être que cela l'aidera à voir certaines choses sous un autre angle et à adopter un point de vue nouveau, mais il est toutefois possible aussi que son point de vue à lui continue de différer du vôtre, et c'est normal; les perceptions et les opinions peuvent s’influencer, mais restent quand même quelque chose de très propre à chacun.
On ne peut pas contrôler l'état émotif de notre proche, mais il est toujours possible d'essayer de l'aider à aller mieux. Parfois, notre présence ou notre intervention auprès de lui auront une influence positive immédiate sur son état, et l'aideront à se sentir mieux; d'autres fois, il est possible que, peu importe ce qu'on essaie, notre proche ne soit pas en mesure d'aller bien à ce moment-là - il y a simplement des jours où ça ne va pas. Plutôt alors que d’essayer à tout prix de faire en sorte que notre proche aille bien et soit à son meilleur dans l’immédiat, il peut être bon de simplement l’écouter, et lui rappeler que nous sommes là pour lui.
Enfin, bien qu’on ne puisse pas contrôler les réactions de notre proche, on peut quand même essayer d’influencer positivement la manière dont il vivra et percevra ses interactions avec nous, en démontrant autant que possible une attitude de bienveillance, de compréhension et d’ouverture envers lui. On fait de notre mieux selon nos capacités, en gardant en tête que le résultat ne sera peut-être pas celui attendu, car celui-ci ne dépend pas seulement de notre propre volonté. Toutefois, même si les choses ne se déroulent pas comme prévu, on pourra se féliciter d’avoir fait de notre mieux, et d’avoir bien utilisé la zone de pouvoir qui nous appartenait. On aura alors, peut-être, moins de mal à laisser aller ce qui ne dépend plus de nous.
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